Allocutions
Allocution : Simonetta Sommaruga, Conseillère fédérale, Cheffe du DFJP
Mesdames et Messieurs,
Ce jour n’est pas un jour facile.
C’est un jour important.
Un jour important pour vous ; pour toutes celles et tous ceux qui ont été placés de force dans
leur enfance, et pour toutes les victimes de mesures de coercition à des fins d’assistance.
C’est aussi un jour important pour nous tous, pour la Suisse – et pour l’histoire de notre pays.
Mais quelle que soit l’importance que nous donnons à ce jour, Mesdames et Messieurs, il ne
compensera pas les souffrances que vous avez endurées dans votre vie.
Car aucun mot, si soigneusement choisi soit-il, ne saurait défaire ce qui a été fait.
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Vous qui êtes dans cette salle aujourd’hui, vous savez ce qui s’est passé. Vous êtes les témoins
de cette époque.
De nombreuses femmes et de nombreux hommes dans cette salle savent ce que cela signifie
d’être placé, sans protection, sans explication, dans un foyer étranger, d’être méprisé, d’être
abaissé, d’être humilié.
De nombreuses personnes dans cette salle savent trop bien ce que c’est de se sentir impuissant,
d’être maltraité physiquement et psychiquement, d’être abusé sexuellement.
Ce sont des femmes et des hommes, parmi nous, qui ont été stérilisés contre leur volonté. Ce
sont des mères, dans cette salle, auxquelles on a enlevé leur enfant, parce qu’elles n’étaient
pas mariées. Ou des femmes qui ont été contraintes d’avorter, ou des mères de donner leur
enfant à l’adoption.
Tout cela est arrivé, et rien de cela ne doit jamais plus se produire.
Car ce sont des blessures qui ne cicatrisent jamais complètement. Des blessures qui restent.
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Priver un enfant de ce dont tous les enfants ont besoin – l’amour, l’affection, l’attention et le
respect – c’est faire preuve de cruauté.
Lorsqu’un enfant – ou un adulte – doit en plus supporter des violences psychiques ou physiques
et qu’on lui ôte l’espoir de voir quelqu’un le protéger – c’est une violation de la dignité
humaine.
Et rien – rien n’a plus de prix que la dignité de l’être humain.
Je le dis en tant que votre concitoyenne. Je l’affirme en tant que ministre de la justice. Et je le
répète en tant que membre de notre gouvernement national : rien n’a plus de prix que la dignité
humaine.
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Mesdames et Messieurs, les enfants placés de force et les autres victimes de mesures de coercition
à des fins d’assistance ont présenté de nombreuses demandes à la cheffe du Département
de justice et police que je suis – des demandes parfois très diverses. De nombreuses
questions se sont posées à moi ; mais il était une chose que je savais dès le départ :
Nous ne pouvons plus continuer à détourner le regard.
Car c’est précisément ce que nous avons fait pendant bien trop longtemps.
Il y a un témoignage d’une femme que je ne peux oublier. Elle a raconté qu’aujourd’hui encore,
un sentiment d’étouffement et d’oppression la saisit lorsqu’elle traverse le village où tant
de choses se sont passées. Pas à cause des souffrances qui lui ont été infligées. Mais parce que
personne dans tout le village ne lui a demandé quel avait été son destin, parce que personne ne
voulait savoir comment elle allait, comment elle se sentait.
Il ne s’agit donc pas seulement des victimes et des auteurs.
Nous sommes tous concernés.
Car détourner le regard est aussi une forme d’action.
Celui qui détourne le regard et ne veut rien savoir, refuse de regarder les choses telles qu’elles
sont. Et rien n’est plus dangereux pour une société.
Une société qui ne se confronte pas aux épisodes désagréables de son histoire court cependant
le risque de répéter les mêmes erreurs – aujourd’hui ou demain.
La maturité d’une société se mesure au regard qu’elle est capable de porter sur son passé.
Voilà pourquoi cette journée doit aussi être l’occasion de réaffirmer notre volonté de regarder
les choses en face, de ne pas refouler les pans les moins reluisants de notre histoire, de ne pas
oublier.
***
C’est pour toutes ces raisons que j’ai décidé que cette journée de commémoration devait avoir
lieu. Nous voulons aujourd’hui nous souvenir d’une injustice historique. J’aimerais néanmoins
aussi souligner très clairement que cette journée de commémoration n’est pas une fin,
mais le début d’un travail approfondi sur un chapitre sombre de l’histoire sociale suisse.
Nous avons déjà mis en place certaines choses :
Tous les cantons ont désigné un service auquel les personnes concernées peuvent s’adresser et
où elles peuvent recevoir un soutien si elles ont des questions concernant leur dossier.
Mais beaucoup reste à faire :
- J’aimerais que cette thématique fasse l’objet d’un travail historique détaillé. Nous
tous devons savoir ce qui est arrivé, en Suisse, aux enfants placés de force et aux
autres victimes de mesures de coercition à des fins d’assistance. Car on ne peut reconnaître
que ce que l’on connaît.
- Un travail sous l’angle juridique est également nécessaire.
- Et au-delà se poseront éventuellement des questions d’ordre financier, et d’autres
encore.
C’est la raison pour laquelle j’ai nommé un délégué aux victimes de mesures de coercition à
des fins d’assistance, en la personne de l’ancien conseiller aux États Hansruedi Stadler.
La mission de M. Stadler, qui doit être un intermédiaire impartial, est importante et ambitieuse.
Il est chargé d’engager un processus qui permettra de s’attaquer sans tarder à toutes les
questions et points ouverts.
M. Stadler convoquera d’ici quelques semaines une table ronde.
Cette table ronde réunira les personnes concernées et les organisations qui les représentent,
mais aussi tous les acteurs qui ont invité à la cérémonie commémorative d’aujourd’hui. Il est
important que toutes les personnes impliquées participent à la suite de la procédure.
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Mesdames et Messieurs, nous le savons : tous les enfants placés de force n’ont pas vécu un
calvaire. Il était possible, dans ces années déjà, de se comporter de manière humaine et correcte,
et c’est ce que beaucoup de gens ont fait.
Et bien sûr, c’était une autre époque. Même si – bien heureusement – nous voyons aujourd’hui
de nombreuses choses d’une autre manière, je m’oppose à un excès de relativisme.
Car la dignité humaine n’est pas une découverte du 21e siècle.
La mère à laquelle on arrachait son enfant de 15 jours ne ressentait pas autre chose que ce que
ressentirait une mère aujourd’hui.
Et un enfant méprisé, humilié, considéré comme moins que rien, ne souffrait pas moins à
l’époque que ne souffrirait aujourd’hui un enfant qui serait traité de cette façon.
Mesdames et Messieurs, vous n’êtes en rien coupables de ce que vous avez subi.
Il est donc grand temps que nous fassions une chose qui vous a jusqu’à présent toujours été
refusée, à vous les anciens enfants placés de force, à vous les victimes de mesures de coercition
à des fins d’assistance :
Au nom du gouvernement suisse, sincèrement et du fond du coeur, je vous demande pardon
pour les souffrances qui vous ont été infligées.
Je vous remercie d’avoir pris part à la cérémonie commémorative d’aujourd’hui. Car cette
journée est importante – parce que vous êtes importants.
Simonetta Sommaruga, Conseillère fédérale. Berne, le 11 avril 2013
Allocution : Markus Büchel, Evêque, Président CES
Mesdames, Messieurs,
Le motif de la manifestation d'aujourd'hui est douloureux et me fait honte. Face aux actes
de violence et aux abus sexuels dont nous avons maintenant connaissance et qui concernent
aussi des foyers et écoles relevant des Églises, il ne m'est pas facile de vous parler. Les
injustices et les délits commis - et jusqu'à des crimes - sont un lourd fardeau pour les
Églises, lesquelles représentent des valeurs morales élevées. C'est pourquoi je souhaite, au
nom des responsables des trois Églises chrétiennes nationales de Suisse, vous adresser
quelques mots. Je commencerai par formuler mes remerciements pour la tenue de cette
cérémonie commémorative. C'est en effet un moment important où des représentants de
différentes institutions rencontrent des personnes ayant subi un tort en lien avec un
placement d'office ou d'autres mesures coercitives prises à des fins d'assistance. Je suis
heureux et reconnaissant de l'occasion que nous avons de donner ici, dans un large cadre
officiel, un signe de la volonté d'aller les uns vers les autres, de nous écouter les uns les
autres. Je remercie toutes les personnes présentes à cette cérémonie, et en particulier celles
qui ont été victimes d'injustice et d'abus. ll vous a fallu beaucoup de force et de courage
pour venir jusqu'ici, Nous n'aurions pas pu nous rencontrer si des personnes concernées
n'avaient pas brisé le silence dissimulateur et élevé leur voix en sachant pourtant à quelles
oppositions et à quel mépris elles s'exposaient, et auxquels, de fait, elles ont
malheureusement été confrontées. Beaucoup trop souvent, beaucoup trop longtemps, les
victimes n'ont trouvé qu'une écoute trop faible.
L'heure n'est pas aujourd'hui au rappel de ce qui a aussi été fait de bien dans les foyers, les
écoles et les familles d'accueil. En ce jour, nous devons regarder l'autre côté des choses, leur
côté sombre. Violence, abus sexuels, exploitation d'enfants comme main-d'æuvre,
séparation d'enfants de leurs parents, la liste ne s'arrête pas là. Des enfants ont souvent été
retirés à leurs parents en l'absence de procédure régulière. Des pupilles adultes ont aussi été
humiliés, maltraités et abusés. Ce qui s'est passé, il n'y a guère que quelques décennies,
nous concerne et nous laisse sans voix. Et ces faits ne sauraient être justifiés par des
arguments comme « Autrefois, tout était différent » ou « Un peu de fermeté n'a jamais nui à
personne ».
Nous devons nous demander avec franchise comment ces injustices et ces crimes ont pu
avoir lieu dans des institutions relevant des Églises et dans d'autres. Pourquoi tant de gens
ont-ils détourné les yeux ? Pourquoi la charité et l'engagement en faveur des plus faibles
n'ont-ils que trop rarement joué un rôle, resté le plus souvent secondaire, de surcroît ?
Répondre à ces questions n'est pas aisé. Les circonstances de l'époque et une vision
différente de l'éducation et des sanctions y sont certainement pour quelque chose. Le
décalage dans le temps ne suffit pourtant pas à excuser la défaillance personnelle de
ministres ecclésiaux et de responsables. ll est d'autant plus important que nous recherchions
la vérité - une vérité douloureuse, mais qui contient aussi la force de la réconciliation et de
la guérison. La vérité de la peine subie doit être dite et reconnue par nous tous. Car ce qui
s'est passé nous concerne tous, en fin de compte. ll n'est pas bon qu'un tort subi reste tu,
qu'il ne soit pas assumé et pèse sur notre société par absence de réconciliation. De plus,
c'est contraire au préambule de notre Constitution qui dit que : « la force de la communauté
se mesure au bien-être du plus faible de ses membres ». Et c'est a fortiori contraire à la
Parole de Jésus, à laquelle nous les Églises ne cessons de nous référer : « Ce que vous avez
fait au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous l'avez fait. Ce que vous n'avez pas
fait au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que Vous ne l'avez pas fait »
Ces injustices et ces crimes ont des conséquences jusqu'à nos jours. Les personnes touchées
souffrent, durant des années et des années, de blessures physiques et morales, dont leur
famille, leurs amis, leurs proches pâtissent aussi, comme tout l'entourage social. ll est
indispensable, pour que notre société puisse vivre son présent en pleine confiance et
avancer vers l'avenir, que nous gardions vivant le souvenir des évènements passés et que
nous apportions tous notre contribution à la reconnaissance des torts individuels mais aussi
sociaux de l,époque, et à la réconciliation. Admettre que des torts ont été causés nous aide à
aiguiser nos consciences en vue d'éviter dans toute la mesure du possible que des torts
surviennent à nouveau.
Ainsi, je souhaite, au nom des trois Églises nationales de Suisse, demander pardon aux
victimes pour le tort causé même si je sais que cela ne peut rien effacer. Et je tiens à
exprimer le respect particulier et la compassion solidaire que nous nourrissons à l'égard des
gens qui ont subi dans leur chair et dans leur âme des blessures dont ils souffrent
aujourd,hui encore. Je peux vous assurer que les Églises apprennent des erreurs du passé et
que nous nous efforçons véritablement d'empêcher de nouveaux torts et de nouvelles
peines. Plus jamais nous ne devons, nous, Églises, permettre que des auteurs de crimes n'en
répondent pas devant la loi. Mais il reviendra aussi à l'ensemble de la société, à toutes les
institutions et à chaque personne individuellement de s'engager pour le respect de la dignité
de tous.
Je vous remercie pour cette possibilité que j'ai de parler avec vous aujourd'hui et suis ouvert
à d'autres rencontres. Que le Seigneur vous bénisse !
Mgr Markus Büchel
Président de la Conférence des évêques suisses, évêque de Saint-Gall
(Texte original en allemand)